mardi 28 juin 2016

Au coeur de l’Empire du Milieu

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La Chine, quel choix étrange comme destination finale pour ce voyage où l’échange culturel et la liberté sont tant à l’honneur. Un pays qui a décidé sous Mao d’oublier son passé et de n’aller que de l’avant, faire le Grand Bond, quitte à oublier son passé, limiter les libertés de son peuple et à se fermer par souci d’indépendance. En effet, réticente à laisser entrer n’importe qui sur son territoire, la Chine est devenue peu à peu un véritable casse-tête pour les touristes alternatifs comme moi. Rien que pour l’obtention du visa, il faut, en plus des informations standards, pouvoir fournir lettres d’invitation, de motivations, preuves de solvabilité, de réservations d’hôtels, de tickets de transport, voire passer par une agence agréée pour certains. Mais encore faut-il que la photo du passeport soit suffisamment récente. On se rappellera que mal m’en fut de ne pas m’être coupé les cheveux et la barbe avant d’entrer au Yunnan (province du sud de la Chine) ce 24 décembre 2015. Motif qui me refoulera sans ménagement vers le Laos.

Mis à part cet imprévu, un vélo abandonné à Bangkok, et quelque 25 jours plus tard en compagnie de Felix, les barrières se lèveront enfin pour notre plus grand bonheur. Après avoir pu apprécier les premiers parfums d’Orient en escale à Hong Kong puis Macao, ce sera sans plus aucune censure que la Chine se révèlera. Les températures extrêmement basses cette année, avec record de neige dans tout le sud de la Chine, limiteront nos bivouacs, mais nous forceront à trouver chaleur chez l’habitant. Des circonstances qui raviront tant la curiosité des invitants que des invités. Felix prendra les rênes des discussions dans son plus pur parlé mandarin, ce qui nous aidera bien souvent. Cependant, la barrière linguistique se fera sentir plus on pénètrera dans la campagne. Moi qui pensais que les Chinois parlaient tous la même langue, ou du moins pouvaient se comprendre. Heureusement, le langage gestuel est toujours utile dans ces situations : « eau ?, nourriture ?, où dormir ? ». Je vous laisse imaginer.
 
22 janvier 2016, nous arriverons à Guilin où nos deux vélos envoyés de Pékin nous ont rejoints. Nous poursuivrons le chemin vers Liuzhou sans plus attendre. Une route qui aura tout du sublime… Notre décision de longer la rivière Li ne cessera de nous réjouir. Nos yeux seront simplement subjugués par les montagnes en « dents de dragon » qui nous entourent, ces fameuses formations karstiques arrondies, présentes essentiellement dans la région du Guangxi que nous traversons. Nous remonterons ensuite vers le nord dans une zone où une grande communauté Dong existe encore. Très douée pour les constructions en bois, cette ethnie nous impressionnera par la beauté de ses villages en bois et leurs ponts du vent et de la pluie qui ont su résister à toutes les météos au cours des siècles.
Sur invitation de nos hôtes de Guilin, nous avons décidé de retourner dans leur bastion pour fêter le Nouvel An chinois ! Cela se résumera en un bon barbecue entre amis de la maison, des coups de baijiu (l’alcool de riz chinois) et des pétards dans la rue. Sur le coup, nous avions du mal à comprendre pourquoi ils faisaient exploser autant de pétards, et depuis quelques jours déjà. Ils en allument dans tous les coins, toute la journée et pendant une bonne semaine. La prochaine fois, je m’équiperai de boules Quies et d’un masque à gaz. Je comprends mieux que ce soit sensé faire fuir les mauvais esprits... Le chamanisme et le spiritisme sont encore très présents dans la région. Nous sommes donc le 8 février, et la Chine est en ébullition. Après trois jours de festivité, nous déciderons de reprendre la route vers le nord-est à destination de Changsha, puis Wuhan.
Changsha, là où le grand Mao est né, sera l’occasion pour Felix et moi de rencontrer Raphaël et Gabriel, noms occidentalisés des deux Chinois qui nous accueilleront dans cette sympathique ville. Leur niveau d’anglais est impressionnant en comparaison de ce que nous avons eu jusqu’à présent. Mais chose amusante, Gabriel, à l’instar de nombreux jeunes Chinois passionnés par les hautes technologies, n’a jamais eu l’occasion de rouler à vélo. Nous lui offrirons à cœur joie une leçon vélo-école. Après de nombreuses tentatives d’élancement, il réussira presque à garder l’équilibre, mais ne put réussir à pédaler en cadence. Il nous promit qu’il persévérerait à l’avenir, dès qu’il aurait un vélo. Et à notre grande surprise, nous apprendrons via Raphaël que depuis notre rencontre, il en a développé une véritable passion.
Nous quitterons Changsha le 21 février à la poursuite du Yangtze, le premier fleuve d’Asie et le troisième au monde après le Nil et l’Amazone. Ce géant, que nous longerons sur une centaine de kilomètres, nous plait profondément. Son lit n’a pas été canalisé, et malgré le passage régulier de péniches, ses rivages restent très naturels. Un pur plaisir que de le suivre à son rythme jusque Wuhan. Cette dernière ville, en plein cœur de la Chine, sera la destination finale de Felix. Il compte rentrer en Belgique au début du mois de mars, et fêter l’anniversaire de son père à Pékin juste avant. Nous visiterons donc un dernier marché, celui des snacks de nuit de Hubu au centre de Wuhan, où la cuisine chinoise sera à l’honneur sous toutes ses formes possibles. Nous resterons estomaqués par les brochettes de grenouilles et les doupi, une sorte de crêpe faite de farine de blé et de pois enveloppant une pâte de riz collant mélangée à des champignons, des dés de porc, de la ciboule et du tofu fermenté… Ça ne manque pas de goût. Nous retournons ensuite chez Swan, un professeur de français à l’Université de Hubei, qui nous héberge pour la nuit. Felix nous quittera pour Pékin le lendemain, tandis que je resterai sur place approfondir les liens. Swan est tout simplement génial comme hôte, très à l’aise nous échangerons sur tout : ONU où il a travaillé, Pépé Mujica le président sympa d’Uruguay, les Chinoises, les langues, la cuisine, etc. Et par la même occasion, j’en profiterai pour faire mes premières bases de chinois, bien utiles aux deux dernières semaines qu’il me reste en Chine.
  
La route continuera à travers les deux régions les plus pauvres de Chine. Le Jiangxi d’abord, où je visiterai principalement la ville de Jiujiang, grand centre Taoïste à la montagne sacrée, puis la ville de Jingdezhen, capitale mondiale de la porcelaine. Je n’emporterai que quelques fragments, craignant de ne pas le maintenir entier si je ramenais un vase Ming. La province d’Anhui ensuite, me charmera par l’authenticité qui persiste dans l’architecture de ses habitations et villages, et par la modestie de ses habitants. J’ai bien ressenti l’émoi qui les traversait, en me voyant quitter leur village et crapahuter péniblement sur leurs routes en piteux état. Peut-être avaient-ils l’impression de revoir leur fils les quitter à nouveau pour réussir sa vie dans les riches régions côtières du Fujian et du Zhejiang.
 

En effet, le contraste est troublant une fois la frontière provinciale passée. Voilà arrivé le Zhejiang, et à peine le temps de quelques coups de pédales sur cette route toute lisse, que j’arriverai déjà à Hangzhou. Une ville propre, qui me marquera autant que Marco Polo en 1290. L’explorateur vénitien y passera d’ailleurs une bonne partie de son aventure chinoise. Hangzhou était à l’époque la plus grande ville au monde, et il ne tarira pas d’éloges à son encontre dans ses récits de voyage : la « Ville du paradis ». Encore aujourd’hui, je fus pris de cette excitation que j’ai lorsque j’entre dans une ville-musée, qui porte encore toutes les traces de son histoire. J’aime dans ces moments-là, laisser vagabonder mon imagination des siècles en arrière. Tous les petits corps de métier se mettent à l’œuvre au tournant de ces ruelles étroites : scribes, astrologues, marchands de porcelaine, herboristes, vendeurs de nouilles, pêcheurs revenant du lac, etc… Toutes ces rues pavées, ces quartiers qui bouillonnent de vie comme nulle part ailleurs à l’époque. Les deux jours passés me sembleront bien trop courts, mais je dois déjà poursuivre vers Suzhou, le second joyau de la Chine médiévale.

Suzhou, la « Venise de l’Est », emmène de nombre de curieux sur ses canaux. La ville est également réputée pour ses magnifiques parcs et jardins, dont l’héritage inspirera longtemps les Japonais, particulièrement sensibles à cet art délicat. Mais la visite devra également se faire vite, car mon heure de retour vers l’Europe se rapproche. Je quitterai donc cette ville avec un goût de trop peu, comme j’ai pu le ressentir à Hangzhou, et me promets d’y repasser au moins une fois dans ma vie.

 
Shanghai est encore à une journée de route, mais la distance ne me parait tellement plus rien à côté de ce que je suis en train de réaliser.  Ça y est, après un an et deux semaines j’en viens à bout de cette route vers l’Extrême-Est. Yuxuan sera mon dernier hôte sur le sol chinois. Il me présentera le Bund, au centre de Shanghaï, cette Ville lumière qui ne dort jamais. Moi non plus je ne dormirai pas ce soir, demain je serais de retour en Europe.


Résumé du parcours :
1. Guangzhou (18-22 janvier) / 2. Guilin (22-28 janvier) / 3. Yangshuo, Xinping et ses montagnes en dents de dragon (29 janvier) / 4. Liuzhou (2 février) / 5. Pont de Chengyang, chef-d'oeuvre des minorités Dong (5 février) / 6. Nouvel An Chinois à Guilin (7 février) / 7. Renouvellement du visa à Hengyang  (13-16 février) / 8. Changsha, ville de Mao Zedong (19-20 février) / 9. Wuhan, rencontre francophile (26-28 février) / 10. Jiujiang et la pauvre province (2 mars) / 11. Jingdezhen, capitale mondiale de la porcelaine (4 mars) / 12. Huangshan et l'architecture Anhui (5-6 mars) / 13. Hangzhou, ville de coeur de Marco Polo (9-10 mars) / 14. Suzhou, Venise de L'Est (11-12 mars) / 15. Shanghai, la megatropole (13-14 mars)

vendredi 20 novembre 2015

Aise malaise et médaille pour les Thaï

Comme ça fait bientôt neuf mois et quelques 15000km que je vous ai quitté, et à l'heure qu'il est, je m'apprête déjà à sortir de Thaïlande, snif...Je me suis dit qu'il était temps de reprendre la plume pour un petit article.

Loin de l'agitation de l'Inde et du Népal un rien chaotique, l'heure est à la zenitude et à l'art de vivre du Siam bouddhiste. Le passage-surprise en Malaisie et Singapour fut une parfaite transition. Les routes proposées aux cyclotouristes sont d'excellente qualité, mais malheureusement pas des plus agréables, du moins pour remonter la côte Ouest : paysage fort artificialisé (monoculture palmiers, riz, développement urbain galopant), trafic important et très peu d'accès à la mer. Mais les Malais ont su égailler de façon magique ce mois écoulé dans la péninsule de Malacca. Pas une journée ne s'est passée sans être invité à partager un repas, à recevoir un cadeau-souvenir ou à se faire emmener pour une visite guidée des lieux. L'accueil du visiteur est sacré ici, typiquement musulman.
Le passage vers la Thaïlande sera marqué par une légère baisse générale de la qualité des routes, qui rejoint celui de la Belgique finalement, et une transition du culte dominant de Mahomet vers celui de Bouddha.
Les après-midi mousson seront par contre toujours aussi régulière, et les moustiques qui vont avec. Dommage de ne pas pouvoir, en fin de journée, profiter d'un trempage tranquille de mollets dans cette si belle mer. Heureusement, la cuisine thaï, exceptionnellement riche en découvertes, est là pour faire oublier cette météo versatile. Du piquant-sucré, du sucré-salé, de l'aigre-doux, du frit, du beignet en tout genre, mille produits dérivés du riz, du soja, de la noix de coco, etc. Tellement bon, et pour tellement rien...
Mais avant l'estomac, c'est surtout au cœur que les Thaï m'ont touché. Ils m'ont donné tant, aidé en toute circonstance, et avec une telle générosité. Ils ont là quelque chose de vraiment précieux, difficile à expliquer, mais qui mélange humilité, don de soi et amour.
Pourvu qu'il puisse préserver ce trésor, c'est tout ce que je peux espérer pour eux.
Salut à tertous, et à la prochaine.
Jérôme, Wongsanit Ashram, Thaïlande

jeudi 3 septembre 2015

Bassin du Gange, au cœur de la folie indienne

A peine descendu de l'avion à Delhi, il ne m'a pas fallu plus d'une heure pour rejoindre Guillaume et Sylvie à la station métro "New Delhi" au centre de la capitale. La chaleur, l'humidité, l'agitation et les odeurs de la rue sont à leur paroxysme et me donnent déjà une bonne idée de l'ambiance à soutenir pour les six semaines à venir. Après deux jours dans la fourmilière qu'est Delhi et l'achat de deux VTT rouges flambant neufs agrémentés de 18 vitesses et d'un porte-bagage (6000 roupies chacun soit 85€), nous ne trouvons pas mieux que de fuir la ville. La route d'Agra vers le sud est d'excellente qualité, mais le passage à tombeaux ouverts des camions surdimensionnés et jouant les équilibristes en dépassement nous laissent quelque peu dubitatifs. Bon, il faudra rester prudent même s'ils ont l'air bien chouettes avec leurs coups de klaxon irrévérencieux et leurs déco hippies dignes de la grande époque des 70's. 
Les premiers jours sous le soleil seront difficiles à supporter pour le trio, particulièrement entre midi et 4h de l'après-midi. Sylvie frôlera d'ailleurs l'insolation à plusieurs reprises malgré les arrêts fontaines/mouillage total des vêtements. Trois jours nous seront nécessaires pour relier la magnifique ville abandonnée de Fatehpur Sikri, capitale de la dynastie moghole quelques années (1571-1585) sous le règne d'Akbar. Un trésor d'architecture et une vue impressionnante sur la vallée qui vaudront vraiment le petit détour de 40km à l'ouest d'Agra. Après visite de la mosquée et du palais en matinée, la route nous mènera directement vers Agra. Malheureusement, les rencontres avec les Indiens resteront difficiles. Ils parlent aussi mal anglais que nous en hindi, et leurs intentions ne sont généralement pas très claires. Dommage, on devra éviter le camping et se contenter des hôtels, du moins dans le continuum urbanisé qu'est la vallée du Gange et de la Yamuna. 
La visite d'Agra et du Taj Mahal en matinée du 5ème jour vélo nous restera marquée dans la mémoire. Comment peut-on avoir un tel contraste entre la vie complètement folle de la rue et celle si paisible à quelques pas dans l'enceinte de ce bijou de marbre blanc? 

Deux mots pour résumer l'Inde après une semaine : contraste et démesure.

De gauche à droite et haut en bas : Petite fille surplombant Fatehpur Sikri - Ganja à Odha - Vieil Hindu - Sylvie et les tuktuks (route de Mathura) 5.Le Trio à Fatehpur Sikri 6.Guillaume et un vendeur de beignets au piment (Mathura) 7.Temple Baba Jaigurudev Mandir (Mathura) 8.Chapati au feu de bois 9.Mosquée Jama Masjid (Fatehpur Sikri)

mercredi 5 août 2015

De la Perse aux royaumes des Ouïgours, itinéraire bousculé et bouleversant

Tout grand voyageur le sait, la préparation d’un périple a beau être de la précision d’une montre suisse, son plus grand succès résidera toujours dans la gestion des variables. Heureusement ou malheureusement pour nous, les variables marqueront foncièrement ce dernier mois de quotidien nomade. Après avoir eu droit à notre visa iranien 25 jours en retard à Trabzon, nous n’avons pas eu moins qu’un refus net et sans explication d’entrer au Turkménistan alors arrivés à Machhad. Situation délicate quand on a deux vélos et que la seule autre solution terrestre pour suivre la Route de la Soie est l’Afghanistan. Cela aurait été une expérience des plus enrichissantes pour sûr, mais bon, savoir nos familles en insomnie pendant deux semaines dévaluera fortement cette possibilité.
Deux heures après la nouvelle, notre décision est prise et l'avion pour survoler le territoire turkmène est réservé : vol Téhéran-Tachkent prévu ce vendredi 17 juillet. Cela nous laisse donc trois jours pour relier Machhad à Téhéran, et donc un peu de marge dans le temps en optant pour la liaison en bus. Cela ne nous empêchera pourtant pas d’avoir une petite montée d’adrénaline alors arrivés à l’aéroport de Mehrabad (Téhéran) en apprenant que notre avion décolle en réalité de l’Aéroport international Imam Khomeini situé à 60 kilomètres un peu plus au sud. Un taxi, cette fois, avec fixation branlante des vélos sur le toit nous sauvera la mise pour 20$ alors que le pays entier fête la fin du ramadan. Quelques heures et complications plus tard (check-in, empaquetages vélo et bagages…), si notre cœur se soulève encore une fois, ce sera assis sur notre banquette au décollage pour l’Ouzbékistan. Ouf!
Itinéraire de Téhéran à Bichkek, du 15 juillet au 2 août 2015
L’Ouzbékistan, même si encore peu connu, ne manquera pas de nous surprendre tout comme l’Iran. Le pays est toujours musulman et les gens chaleureux, ces fameux Ouïgours typés « chinois », mais ce sont surtout les femmes en rue qui rivalisent de beauté et seront pour nous le choc du mois après l'Iran. Au revoir voile noir anonyme et bonjour sourires, robes traditionnelles, légères et hautes en couleur. De même que les visites de Tachkent, puis Samarkand et Boukhara nous émerveilleront au plus haut point. Tachkent a très bien su accommoder le modernisme de ses bâtiments administratifs à ses édifices historiques tout en laissant une large place aux parcs et espaces verts. Samarkand nous laissera rêveurs devant son Registan et ses nombreux ateliers artisanaux, mais c'est surtout Boukhara qui nous épatera le plus avec ses innombrables joyaux d’architecture et son centre historique.
Nos estomacs ne seront pas non plus en reste. Les marchés traditionnels sont présents partout et les stands de melons, pastèques et autres boissons salées/sucrées font partie intégrante du bord de route. Mais par-dessus tout, les invitations au plov, LE repas traditionnel ouzbek, et les melons/pastèques offerts le long du chemin animeront quotidiennement notre périple dans ce merveilleux pays. Un pays qui restera parmi nos préférés, c'est certain.
Après avoir traversé la tranquille Vallée de Fergana, être passés quelques contrôles de passeport et s’être remis à jour pour nos enregistrements (voir « OVIR »), nous quittons l’Ouzbékistan pour le Kirghizistan à la petite frontière d’Uckurgon.
Le Kirghizistan aux premiers abords nous semble quelque peu moins chaleureux. Les gens n’ont plus cette spontanéité d’accueil, leur comportement est beaucoup plus rustique et la vodka laisse pas mal de déchets humains en rue - unique pour un pays musulman. Du moins dans les bourgades isolées que nous traverserons entre Jalal Abad et Naryn. Le tableau est assez noir, mais explicable. Ces populations vivent isolées, non seulement par les montagnes, mais également par la mauvaise qualité des routes, et les rares approvisionnements en vivres rendent définitivement leur quotidien difficile. Un accueil nous sera quand même proposé par un groupe de nomades un peu avant Ak-Tal. Il aura fallu avoir poussé une journée entière notre vélo dans la montagne sans croiser âme qui vive, être bloqués par un orage à la tombée de la nuit et être sans vivre pour bénéficier de ce timide accueil en yourte. Nous aurons également droit à l’étape bûcheronnage nécessaire à la cuisson du repas. Malheureusement, la conversation restera assez basique et la communication difficile. En effet, le kirghiz n'a rien à voir avec le russe. Ses racines sont turques, tout comme l'ensemble des langues d'Asie Centrale (Tadjik, Ouzbek, Kazakh, Azéri...).
   Malgré le chaos de la route et les rares rencontres, le paysage de la région est magnifique, presque virginal et les yourtes accidentelles lui donnent un charme fou. La qualité du contact avec les gens et de la route iront en s’améliorant de pair vers Naryn puis Issyk Kul et Bichkek : de l’asphalte et des gens parlant russe voire anglais... Le paysage est moins impressionnant que dans la région de Kazarman, mais nous aurons toujours de quoi être surpris. Un troupeau d’une trentaine de chameaux, par exemple, en totale liberté près du lac Orto Tokoy sera un véritable cadeau pour nos yeux. Nous qui, depuis la Turquie, désespérons de voir ces camélidés sur cette route des caravansérails. Dans la foulée des surprises, un camp de travailleurs chinois, venus pour la construction de la route Bichkek-Naryn-Osh, nous accueillera pour une nuit. On le sent, la Chine est toute proche désormais et fortement présente dans le pays.
Nous arriverons finalement à Bichkek le 2 août, une étape importante de notre voyage puisqu’il constitue notre point de séparation, Felix et moi. Felix avait décidé depuis quelques mois de poursuivre directement vers Pékin en traversant le Xinjiang et ainsi clôturer la route de la Soie qu’avait suivie Marco Polo. De mon côté, je devrais prendre l’avion pour rejoindre l’Inde et une petite bande de cyclistes motivés à New Delhi (Guillaume, Sylvie, puis Sarah et Corentin à Varanasi). Nous visiterons ensuite le Népal, et aux dernières nouvelles, je devrais ensuite partir seul vers l’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Cambodge, Laos et Viêt-Nam) avant de rejoindre à nouveau Felix de janvier à mars pour bivouaquer en Chine...

Felix est donc parti hier matin vers la frontière chinoise (Ili) retrouver les siens (son père, Jian et Daphné, sa sœur) pour une petite semaine de vacances au Xinjiang. Il tracera ensuite vers Xi’an puis Pékin à vélo et, en fonction du temps qu’il a, visitera sa famille à Taïwan et me rejoindra finalement dans le sud de la Chine.
L’heure est donc au constat après ces 5 mois de vélo complètement fou :
  • Des rencontres nombreuses, d’une diversité et d’une richesse inouïe, difficilement accessibles autrement : des cyclo-marathoniens, des raw-végétaliens, des prêtres orthodoxes fous et des grands dealers bons samaritains, des rom, des réfugiés syriens, irakiens, des alcooliques géorgiens, des imams sunnites, des chiites, des artistes en tout genre, des nomades…des hommes ! ;
  • Des expériences imprévues et +- enrichissantes : gratter le givre de la tente au réveil (Allemagne), retrouver le passeport de Felix dans un parc après cambriolage de la tente (Hongrie), sauver une jeune turque, Neslihan, de la noyade et devenir héros national (Turquie), se faire rouler dessus par une voiture qui ne s’arrêtera jamais (Jérôme, Géorgie), apprendre à déféquer comme un parfait Turc (Arménie), être conduits au commissariat pour avoir pris une montagne en photo (Iran), subir toute la période du ramadan et avoir des problèmes gastriques une bonne semaine (Iran), sermonner un vieux flic peu responsable (Felix, Iran), boire du lait de jument fermenté dans une yourte (Kirghizistan), rouler de Tachkent à Bichkek avec une selle cassée (Jérôme) et confondre de l’Ice tea avec de l'urine (Jérôme, Kirghizistan) ;
  • Sinon, plus sérieusement, le budget mutuel consommé après trois mois (Europe+Turquie) était de 1000€, mais est passé à 3000€ après cinq mois tout compris. Nous restons donc sur un bilan assez « cheap » malgré les imprévus. 1500€, soit 10€/jour par personne ;
  • La santé est actuellement au beau fixe, mais nous sommes et devons rester prudents. Les pépins physiques au niveau des genoux (Jérôme), tendons d’Achille (Felix) et dos (Felix) se sont fait sentir à plusieurs reprises. L’alimentation est également source d’ennuis parfois très handicapants pour les cyclistes. Nos symptômes gastriques ont presque toujours été concommittants et de durée et intensité similaires, sans jamais vraiment nous bloquer ;
  • Et pour clôturer ce petit article, notre compteur kilométrique a dépassé les 9000 km depuis la Belgique, soit une moyenne journalière de 60 km. Nous sommes donc parfaitement dans nos prévisions.
Maintenant, à nous l'Inde et l'Asie profonde. Avec l’équipe de choc que je te ramène, on ne va pas s’embêter ! A bientôt pour de nouvelles aventures,

Jérôme

vendredi 12 juin 2015


100 jours, le Caucase, et un vent qui souffle toujours plus vers l'Est

Et bien il semblerait que le chapitre "Visa iranien" se clôture cette après-midi. Après avoir lancé la demande le 5 mai d'Ankara, l'avoir attendu en vain une bonne dizaine de jours une fois arrivés à Trébizonde, et avoir poursuivi notre parcours près de deux semaines à travers la Géorgie et l'Arménie...on devrait pouvoir l'obtenir dans un peu moins de 3h au fameux Consulat Iranien de Trébizonde !

Nous sommes ainsi revenus en Turquie pour trois jours depuis Erevan : 20h de bus et quatre passages frontières (Arménie out - Géorgie in - Géorgie out - Turquie in)...heureux de pouvoir laisser nos vélos en stand-by chez nos amis les Barseghyans, à Erevan. Retour donc cette nuit et demain vers leur sympathique famille et encore quelques 4 jours en Arménie avant d'entamer le tant attendu nord Iran !!
Sacré 8 juin à Erevan, quand même, on ne t'oubliera pas. Notre arrivée dans cet écrin d'Arménie, dessinée d'une main de maître par Tamanian, aura été un important tournant dans notre voyage :

  • Centième jour de voyage après 6500 km, un accident vélo pour Jérôme dans le Caucase (route de montagne, pluie et voiture arrivant au mauvais moment dans un tournant un peu serré) et quelques problèmes gastriques à Tbilissi dus à l'ingestion d'un pot de sauce périmé...
  • Dodo dans le centre-ville à la belle étoile
  • Rencontre d'un Allemand puis d'un Chinois faisant tous deux la Route de la Soie mais en sens inverse
  • Arrivée du code pour obtenir nos visas iraniens
  • et malheureusement fin de vie de notre appareil photo...Il sera remplacé par un petit compact Canon Ixus 265HS obtenu pour 440 liras (+-150€) ici à Trébizonde.
Voilà voilà les dernières nouvelles. Nous sommes plutôt excités pour la suite, même si l'obtention des prochains visas risque d'être encore un peu chevaleresque (Turkménistan puis Inde). Iran, nous voilà !!

A bientôt  :)





samedi 18 avril 2015

Héros national 20 minutes après notre passage de la frontière turque

 
Voilà quelques nouvelles. Désolé pour le peu que nous avons pu donner jusque-là, l'aventure ressemblait par moment à celui du combattant ces derniers temps... Voici néanmoins un petit fait marquant du voyage.

Programme de ce vendredi 17 :
  • 7h du matin : Debout dans un coin de paradis le long de la Maritsa sur le bord sud-est de la Bulgarie. Jérôme a toujours du mal à trouver le sommeil, mais le physique est au top (fatigue nerveuse essentiellement) tandis que Felix est en super forme. Longtemps qu'il ne se sent pas si bien.
  • 13h : On quitte la Bulgarie après avoir fait nos dernières emplettes à Svilengrad : rachat de rayons, réparation de fuites pour Felix, échange des levs bulgares en lyras turques.
  • 13h30 : Petite boucle par la Grèce, contrôle frontière. Le soleil est de plomb et Felix a déjà quelques coups de soleil (avant-bras et genoux) tout comme Jérôme. On ne pense plus qu'à aller se plonger dans une rivière.
  • 16h30 : Notre périple en Grèce aura été court, mais nous aurons eu le temps de voir quelques belles églises et superbes paysages. On se fait remarquer à la frontière côté grec en voulant prendre une photo du drapeau et le contrôle des passeports est méticuleux.
  • 16h40 : Contrôle à nouveau des papiers. Nous présentons pour la première fois un visa. Le fameux e-Visa de la Turquie (20,9$) obtenu à Plovdiv. Le poste frontière est tout de suite plus sympa et n'hésite pas à plaisanter sur l'allure de nos vélos et l'objectif que nous avons.
  • 17h10 : Photo du pont sur la Maritsa. Deux filles font de même près du bord de la rivière...puis les événements s'enchaînent...
Nous étions donc en train de prendre des photos de cette superbe ville qu'est Edirne. Nous voyions deux filles prenant quelques selfies devant le pont tout proche de l'eau. Tellement proche du bord qu'on s'était tous les deux dits en tête..elles vont finir à l'eau. Quelques secondes plus tard, l'une d'entre-elles perd l'équilibre et valse deux-trois mètres plus bas à la verticale dans les eaux de la Maritsa. C'est la panique, sa copine crie, pleure. Nous accourrons vers le bord. Je la vois accrochée à un arbre (le seul à avoir décidé de pousser dans ce mur de béton), une chance. Ok, il y a moyen de l'aider, pas une seconde d'hésitation, j'enlève chaussures, pulls...et plonge. L'eau est froide, le courant assez fort finalement, et j’attrape le petit arbre..léger craquement. Punaise, chaud quand même. La fille est toujours accrochée aux branches, d'une main... mais fortement tirée par le courant. Une chaîne descend vers moi et m'aide à alléger le poids que je donne sur l'arbre. La fille n'ose pas bouger, je l'attrape d'une main, l'aide à me grimper dessus et lui donne la chaîne qui la tire en quelques secondes hors de l'eau. Plus qu'à récupérer son sac dans l'eau, emmêlé dans les branches. Tant qu'on y est, ne faisons pas les choses à moitié. Encore quelques branches arrachées, la chaîne qui revient et me voilà sorti, trois mètres plus haut en un rien de temps, happé par la force de la foule venue en aide. La fille va bien, c'est sa copine qui va moins bien et pour qui l'ambulance viendra finalement. C'est la consécration, "You are a hero man! ", "Crazy man",...une centaine de personnes me félicitent, me serrent la main. Tout le monde est sauvé, les journalistes accourent et la police m'applaudit, que c'est beau. Plus qu'à récupérer mes affaires, répondre à quelques questions, et suivre le convoi de police qui nous ouvre une voie royale jusqu'au commissariat..pour mon témoignage sur la scène.

Et déjà en soirée dans tous les journaux d'Edirne : ici ou encore ici

Sympathique entrée en Turquie ! :)

jeudi 5 mars 2015

Départ en fanfare (Luxembourg, Sarre, Baden-Wurtemberg)

Nous voilà à peine partis depuis quatre jours que quelques centaines de kilomètres nous séparent déjà de la Belgique...400 km au compteur depuis Marche-en-Famenne (soit une moyenne de 100km/jour). Un exploit pour nos vélos faisant près de 80kg à eux deux. Nous avons ainsi pu rejoindre Arlon dès dimanche soir, après 85km dans les Ardennes, avant d'être logés et nourris par des amis (famille Deru de Heinsch). Le deuxième jour nous a conduits à travers le Luxembourg, sa capitale fortifiée d'une main de maître par Vauban, puis un petit bout d'Allemagne dans le coin de Merzig le long de la Sarre. Le 3ème jour fut des plus sympathiques, le paysage sera relativement plat sur les excellentes pistes cyclables le long de la Sarre. Nous avons ainsi pu rejoindre Sarrelouis, puis Sarrebruck et finalement terminer les 102km non loin de Pirmasens. Le 4ème jour sera encore plus fou. Ayant réalisé que le planning serait un peu serré pour monter jusque Spire, nous avons décidé de rejoindre Karlsruhe. C'était sans compter sur nos errances dans l'immense forêt entourant Dahn. Un domaine forestier immense, vallonné, où seuls les panneaux de promenade pouvaient nous orienter. Les villages de la région sont exceptionnellement préservés, typiques avec ses maisons à colombages comme on en retrouve en Alsace, et calmes, loin de l'activité urbaine que nous retrouverons quelques 40km plus loin à Karlsruhe. 110km au compteur ce 4ème jour, contents d'être arrivés sans trop de mal malgré nos tendons et genoux douloureux par moment.