mardi 28 juin 2016

Au coeur de l’Empire du Milieu

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La Chine, quel choix étrange comme destination finale pour ce voyage où l’échange culturel et la liberté sont tant à l’honneur. Un pays qui a décidé sous Mao d’oublier son passé et de n’aller que de l’avant, faire le Grand Bond, quitte à oublier son passé, limiter les libertés de son peuple et à se fermer par souci d’indépendance. En effet, réticente à laisser entrer n’importe qui sur son territoire, la Chine est devenue peu à peu un véritable casse-tête pour les touristes alternatifs comme moi. Rien que pour l’obtention du visa, il faut, en plus des informations standards, pouvoir fournir lettres d’invitation, de motivations, preuves de solvabilité, de réservations d’hôtels, de tickets de transport, voire passer par une agence agréée pour certains. Mais encore faut-il que la photo du passeport soit suffisamment récente. On se rappellera que mal m’en fut de ne pas m’être coupé les cheveux et la barbe avant d’entrer au Yunnan (province du sud de la Chine) ce 24 décembre 2015. Motif qui me refoulera sans ménagement vers le Laos.

Mis à part cet imprévu, un vélo abandonné à Bangkok, et quelque 25 jours plus tard en compagnie de Felix, les barrières se lèveront enfin pour notre plus grand bonheur. Après avoir pu apprécier les premiers parfums d’Orient en escale à Hong Kong puis Macao, ce sera sans plus aucune censure que la Chine se révèlera. Les températures extrêmement basses cette année, avec record de neige dans tout le sud de la Chine, limiteront nos bivouacs, mais nous forceront à trouver chaleur chez l’habitant. Des circonstances qui raviront tant la curiosité des invitants que des invités. Felix prendra les rênes des discussions dans son plus pur parlé mandarin, ce qui nous aidera bien souvent. Cependant, la barrière linguistique se fera sentir plus on pénètrera dans la campagne. Moi qui pensais que les Chinois parlaient tous la même langue, ou du moins pouvaient se comprendre. Heureusement, le langage gestuel est toujours utile dans ces situations : « eau ?, nourriture ?, où dormir ? ». Je vous laisse imaginer.
 
22 janvier 2016, nous arriverons à Guilin où nos deux vélos envoyés de Pékin nous ont rejoints. Nous poursuivrons le chemin vers Liuzhou sans plus attendre. Une route qui aura tout du sublime… Notre décision de longer la rivière Li ne cessera de nous réjouir. Nos yeux seront simplement subjugués par les montagnes en « dents de dragon » qui nous entourent, ces fameuses formations karstiques arrondies, présentes essentiellement dans la région du Guangxi que nous traversons. Nous remonterons ensuite vers le nord dans une zone où une grande communauté Dong existe encore. Très douée pour les constructions en bois, cette ethnie nous impressionnera par la beauté de ses villages en bois et leurs ponts du vent et de la pluie qui ont su résister à toutes les météos au cours des siècles.
Sur invitation de nos hôtes de Guilin, nous avons décidé de retourner dans leur bastion pour fêter le Nouvel An chinois ! Cela se résumera en un bon barbecue entre amis de la maison, des coups de baijiu (l’alcool de riz chinois) et des pétards dans la rue. Sur le coup, nous avions du mal à comprendre pourquoi ils faisaient exploser autant de pétards, et depuis quelques jours déjà. Ils en allument dans tous les coins, toute la journée et pendant une bonne semaine. La prochaine fois, je m’équiperai de boules Quies et d’un masque à gaz. Je comprends mieux que ce soit sensé faire fuir les mauvais esprits... Le chamanisme et le spiritisme sont encore très présents dans la région. Nous sommes donc le 8 février, et la Chine est en ébullition. Après trois jours de festivité, nous déciderons de reprendre la route vers le nord-est à destination de Changsha, puis Wuhan.
Changsha, là où le grand Mao est né, sera l’occasion pour Felix et moi de rencontrer Raphaël et Gabriel, noms occidentalisés des deux Chinois qui nous accueilleront dans cette sympathique ville. Leur niveau d’anglais est impressionnant en comparaison de ce que nous avons eu jusqu’à présent. Mais chose amusante, Gabriel, à l’instar de nombreux jeunes Chinois passionnés par les hautes technologies, n’a jamais eu l’occasion de rouler à vélo. Nous lui offrirons à cœur joie une leçon vélo-école. Après de nombreuses tentatives d’élancement, il réussira presque à garder l’équilibre, mais ne put réussir à pédaler en cadence. Il nous promit qu’il persévérerait à l’avenir, dès qu’il aurait un vélo. Et à notre grande surprise, nous apprendrons via Raphaël que depuis notre rencontre, il en a développé une véritable passion.
Nous quitterons Changsha le 21 février à la poursuite du Yangtze, le premier fleuve d’Asie et le troisième au monde après le Nil et l’Amazone. Ce géant, que nous longerons sur une centaine de kilomètres, nous plait profondément. Son lit n’a pas été canalisé, et malgré le passage régulier de péniches, ses rivages restent très naturels. Un pur plaisir que de le suivre à son rythme jusque Wuhan. Cette dernière ville, en plein cœur de la Chine, sera la destination finale de Felix. Il compte rentrer en Belgique au début du mois de mars, et fêter l’anniversaire de son père à Pékin juste avant. Nous visiterons donc un dernier marché, celui des snacks de nuit de Hubu au centre de Wuhan, où la cuisine chinoise sera à l’honneur sous toutes ses formes possibles. Nous resterons estomaqués par les brochettes de grenouilles et les doupi, une sorte de crêpe faite de farine de blé et de pois enveloppant une pâte de riz collant mélangée à des champignons, des dés de porc, de la ciboule et du tofu fermenté… Ça ne manque pas de goût. Nous retournons ensuite chez Swan, un professeur de français à l’Université de Hubei, qui nous héberge pour la nuit. Felix nous quittera pour Pékin le lendemain, tandis que je resterai sur place approfondir les liens. Swan est tout simplement génial comme hôte, très à l’aise nous échangerons sur tout : ONU où il a travaillé, Pépé Mujica le président sympa d’Uruguay, les Chinoises, les langues, la cuisine, etc. Et par la même occasion, j’en profiterai pour faire mes premières bases de chinois, bien utiles aux deux dernières semaines qu’il me reste en Chine.
  
La route continuera à travers les deux régions les plus pauvres de Chine. Le Jiangxi d’abord, où je visiterai principalement la ville de Jiujiang, grand centre Taoïste à la montagne sacrée, puis la ville de Jingdezhen, capitale mondiale de la porcelaine. Je n’emporterai que quelques fragments, craignant de ne pas le maintenir entier si je ramenais un vase Ming. La province d’Anhui ensuite, me charmera par l’authenticité qui persiste dans l’architecture de ses habitations et villages, et par la modestie de ses habitants. J’ai bien ressenti l’émoi qui les traversait, en me voyant quitter leur village et crapahuter péniblement sur leurs routes en piteux état. Peut-être avaient-ils l’impression de revoir leur fils les quitter à nouveau pour réussir sa vie dans les riches régions côtières du Fujian et du Zhejiang.
 

En effet, le contraste est troublant une fois la frontière provinciale passée. Voilà arrivé le Zhejiang, et à peine le temps de quelques coups de pédales sur cette route toute lisse, que j’arriverai déjà à Hangzhou. Une ville propre, qui me marquera autant que Marco Polo en 1290. L’explorateur vénitien y passera d’ailleurs une bonne partie de son aventure chinoise. Hangzhou était à l’époque la plus grande ville au monde, et il ne tarira pas d’éloges à son encontre dans ses récits de voyage : la « Ville du paradis ». Encore aujourd’hui, je fus pris de cette excitation que j’ai lorsque j’entre dans une ville-musée, qui porte encore toutes les traces de son histoire. J’aime dans ces moments-là, laisser vagabonder mon imagination des siècles en arrière. Tous les petits corps de métier se mettent à l’œuvre au tournant de ces ruelles étroites : scribes, astrologues, marchands de porcelaine, herboristes, vendeurs de nouilles, pêcheurs revenant du lac, etc… Toutes ces rues pavées, ces quartiers qui bouillonnent de vie comme nulle part ailleurs à l’époque. Les deux jours passés me sembleront bien trop courts, mais je dois déjà poursuivre vers Suzhou, le second joyau de la Chine médiévale.

Suzhou, la « Venise de l’Est », emmène de nombre de curieux sur ses canaux. La ville est également réputée pour ses magnifiques parcs et jardins, dont l’héritage inspirera longtemps les Japonais, particulièrement sensibles à cet art délicat. Mais la visite devra également se faire vite, car mon heure de retour vers l’Europe se rapproche. Je quitterai donc cette ville avec un goût de trop peu, comme j’ai pu le ressentir à Hangzhou, et me promets d’y repasser au moins une fois dans ma vie.

 
Shanghai est encore à une journée de route, mais la distance ne me parait tellement plus rien à côté de ce que je suis en train de réaliser.  Ça y est, après un an et deux semaines j’en viens à bout de cette route vers l’Extrême-Est. Yuxuan sera mon dernier hôte sur le sol chinois. Il me présentera le Bund, au centre de Shanghaï, cette Ville lumière qui ne dort jamais. Moi non plus je ne dormirai pas ce soir, demain je serais de retour en Europe.


Résumé du parcours :
1. Guangzhou (18-22 janvier) / 2. Guilin (22-28 janvier) / 3. Yangshuo, Xinping et ses montagnes en dents de dragon (29 janvier) / 4. Liuzhou (2 février) / 5. Pont de Chengyang, chef-d'oeuvre des minorités Dong (5 février) / 6. Nouvel An Chinois à Guilin (7 février) / 7. Renouvellement du visa à Hengyang  (13-16 février) / 8. Changsha, ville de Mao Zedong (19-20 février) / 9. Wuhan, rencontre francophile (26-28 février) / 10. Jiujiang et la pauvre province (2 mars) / 11. Jingdezhen, capitale mondiale de la porcelaine (4 mars) / 12. Huangshan et l'architecture Anhui (5-6 mars) / 13. Hangzhou, ville de coeur de Marco Polo (9-10 mars) / 14. Suzhou, Venise de L'Est (11-12 mars) / 15. Shanghai, la megatropole (13-14 mars)

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