mercredi 5 août 2015

De la Perse aux royaumes des Ouïgours, itinéraire bousculé et bouleversant

Tout grand voyageur le sait, la préparation d’un périple a beau être de la précision d’une montre suisse, son plus grand succès résidera toujours dans la gestion des variables. Heureusement ou malheureusement pour nous, les variables marqueront foncièrement ce dernier mois de quotidien nomade. Après avoir eu droit à notre visa iranien 25 jours en retard à Trabzon, nous n’avons pas eu moins qu’un refus net et sans explication d’entrer au Turkménistan alors arrivés à Machhad. Situation délicate quand on a deux vélos et que la seule autre solution terrestre pour suivre la Route de la Soie est l’Afghanistan. Cela aurait été une expérience des plus enrichissantes pour sûr, mais bon, savoir nos familles en insomnie pendant deux semaines dévaluera fortement cette possibilité.
Deux heures après la nouvelle, notre décision est prise et l'avion pour survoler le territoire turkmène est réservé : vol Téhéran-Tachkent prévu ce vendredi 17 juillet. Cela nous laisse donc trois jours pour relier Machhad à Téhéran, et donc un peu de marge dans le temps en optant pour la liaison en bus. Cela ne nous empêchera pourtant pas d’avoir une petite montée d’adrénaline alors arrivés à l’aéroport de Mehrabad (Téhéran) en apprenant que notre avion décolle en réalité de l’Aéroport international Imam Khomeini situé à 60 kilomètres un peu plus au sud. Un taxi, cette fois, avec fixation branlante des vélos sur le toit nous sauvera la mise pour 20$ alors que le pays entier fête la fin du ramadan. Quelques heures et complications plus tard (check-in, empaquetages vélo et bagages…), si notre cœur se soulève encore une fois, ce sera assis sur notre banquette au décollage pour l’Ouzbékistan. Ouf!
Itinéraire de Téhéran à Bichkek, du 15 juillet au 2 août 2015
L’Ouzbékistan, même si encore peu connu, ne manquera pas de nous surprendre tout comme l’Iran. Le pays est toujours musulman et les gens chaleureux, ces fameux Ouïgours typés « chinois », mais ce sont surtout les femmes en rue qui rivalisent de beauté et seront pour nous le choc du mois après l'Iran. Au revoir voile noir anonyme et bonjour sourires, robes traditionnelles, légères et hautes en couleur. De même que les visites de Tachkent, puis Samarkand et Boukhara nous émerveilleront au plus haut point. Tachkent a très bien su accommoder le modernisme de ses bâtiments administratifs à ses édifices historiques tout en laissant une large place aux parcs et espaces verts. Samarkand nous laissera rêveurs devant son Registan et ses nombreux ateliers artisanaux, mais c'est surtout Boukhara qui nous épatera le plus avec ses innombrables joyaux d’architecture et son centre historique.
Nos estomacs ne seront pas non plus en reste. Les marchés traditionnels sont présents partout et les stands de melons, pastèques et autres boissons salées/sucrées font partie intégrante du bord de route. Mais par-dessus tout, les invitations au plov, LE repas traditionnel ouzbek, et les melons/pastèques offerts le long du chemin animeront quotidiennement notre périple dans ce merveilleux pays. Un pays qui restera parmi nos préférés, c'est certain.
Après avoir traversé la tranquille Vallée de Fergana, être passés quelques contrôles de passeport et s’être remis à jour pour nos enregistrements (voir « OVIR »), nous quittons l’Ouzbékistan pour le Kirghizistan à la petite frontière d’Uckurgon.
Le Kirghizistan aux premiers abords nous semble quelque peu moins chaleureux. Les gens n’ont plus cette spontanéité d’accueil, leur comportement est beaucoup plus rustique et la vodka laisse pas mal de déchets humains en rue - unique pour un pays musulman. Du moins dans les bourgades isolées que nous traverserons entre Jalal Abad et Naryn. Le tableau est assez noir, mais explicable. Ces populations vivent isolées, non seulement par les montagnes, mais également par la mauvaise qualité des routes, et les rares approvisionnements en vivres rendent définitivement leur quotidien difficile. Un accueil nous sera quand même proposé par un groupe de nomades un peu avant Ak-Tal. Il aura fallu avoir poussé une journée entière notre vélo dans la montagne sans croiser âme qui vive, être bloqués par un orage à la tombée de la nuit et être sans vivre pour bénéficier de ce timide accueil en yourte. Nous aurons également droit à l’étape bûcheronnage nécessaire à la cuisson du repas. Malheureusement, la conversation restera assez basique et la communication difficile. En effet, le kirghiz n'a rien à voir avec le russe. Ses racines sont turques, tout comme l'ensemble des langues d'Asie Centrale (Tadjik, Ouzbek, Kazakh, Azéri...).
   Malgré le chaos de la route et les rares rencontres, le paysage de la région est magnifique, presque virginal et les yourtes accidentelles lui donnent un charme fou. La qualité du contact avec les gens et de la route iront en s’améliorant de pair vers Naryn puis Issyk Kul et Bichkek : de l’asphalte et des gens parlant russe voire anglais... Le paysage est moins impressionnant que dans la région de Kazarman, mais nous aurons toujours de quoi être surpris. Un troupeau d’une trentaine de chameaux, par exemple, en totale liberté près du lac Orto Tokoy sera un véritable cadeau pour nos yeux. Nous qui, depuis la Turquie, désespérons de voir ces camélidés sur cette route des caravansérails. Dans la foulée des surprises, un camp de travailleurs chinois, venus pour la construction de la route Bichkek-Naryn-Osh, nous accueillera pour une nuit. On le sent, la Chine est toute proche désormais et fortement présente dans le pays.
Nous arriverons finalement à Bichkek le 2 août, une étape importante de notre voyage puisqu’il constitue notre point de séparation, Felix et moi. Felix avait décidé depuis quelques mois de poursuivre directement vers Pékin en traversant le Xinjiang et ainsi clôturer la route de la Soie qu’avait suivie Marco Polo. De mon côté, je devrais prendre l’avion pour rejoindre l’Inde et une petite bande de cyclistes motivés à New Delhi (Guillaume, Sylvie, puis Sarah et Corentin à Varanasi). Nous visiterons ensuite le Népal, et aux dernières nouvelles, je devrais ensuite partir seul vers l’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Cambodge, Laos et Viêt-Nam) avant de rejoindre à nouveau Felix de janvier à mars pour bivouaquer en Chine...

Felix est donc parti hier matin vers la frontière chinoise (Ili) retrouver les siens (son père, Jian et Daphné, sa sœur) pour une petite semaine de vacances au Xinjiang. Il tracera ensuite vers Xi’an puis Pékin à vélo et, en fonction du temps qu’il a, visitera sa famille à Taïwan et me rejoindra finalement dans le sud de la Chine.
L’heure est donc au constat après ces 5 mois de vélo complètement fou :
  • Des rencontres nombreuses, d’une diversité et d’une richesse inouïe, difficilement accessibles autrement : des cyclo-marathoniens, des raw-végétaliens, des prêtres orthodoxes fous et des grands dealers bons samaritains, des rom, des réfugiés syriens, irakiens, des alcooliques géorgiens, des imams sunnites, des chiites, des artistes en tout genre, des nomades…des hommes ! ;
  • Des expériences imprévues et +- enrichissantes : gratter le givre de la tente au réveil (Allemagne), retrouver le passeport de Felix dans un parc après cambriolage de la tente (Hongrie), sauver une jeune turque, Neslihan, de la noyade et devenir héros national (Turquie), se faire rouler dessus par une voiture qui ne s’arrêtera jamais (Jérôme, Géorgie), apprendre à déféquer comme un parfait Turc (Arménie), être conduits au commissariat pour avoir pris une montagne en photo (Iran), subir toute la période du ramadan et avoir des problèmes gastriques une bonne semaine (Iran), sermonner un vieux flic peu responsable (Felix, Iran), boire du lait de jument fermenté dans une yourte (Kirghizistan), rouler de Tachkent à Bichkek avec une selle cassée (Jérôme) et confondre de l’Ice tea avec de l'urine (Jérôme, Kirghizistan) ;
  • Sinon, plus sérieusement, le budget mutuel consommé après trois mois (Europe+Turquie) était de 1000€, mais est passé à 3000€ après cinq mois tout compris. Nous restons donc sur un bilan assez « cheap » malgré les imprévus. 1500€, soit 10€/jour par personne ;
  • La santé est actuellement au beau fixe, mais nous sommes et devons rester prudents. Les pépins physiques au niveau des genoux (Jérôme), tendons d’Achille (Felix) et dos (Felix) se sont fait sentir à plusieurs reprises. L’alimentation est également source d’ennuis parfois très handicapants pour les cyclistes. Nos symptômes gastriques ont presque toujours été concommittants et de durée et intensité similaires, sans jamais vraiment nous bloquer ;
  • Et pour clôturer ce petit article, notre compteur kilométrique a dépassé les 9000 km depuis la Belgique, soit une moyenne journalière de 60 km. Nous sommes donc parfaitement dans nos prévisions.
Maintenant, à nous l'Inde et l'Asie profonde. Avec l’équipe de choc que je te ramène, on ne va pas s’embêter ! A bientôt pour de nouvelles aventures,

Jérôme

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire